Monday, December 05, 2005

INTERET GENERAL

Il s’agit d’un terme aussi usé que ces paillassons sur lesquels on s’essuie les pieds au seuil des maisons et qu’on ne finit par ne même plus voir. Pourtant quand le paillasson n’est plus là, la maison est vite dans un sale état. L’intérêt général mérite cependant qu’on s’intéresse à lui et qu’on nettoie de temps à autre ce paillasson.

En Haïti, on le sait, sa définition est problématique. On voit trop bien les intérêts particuliers, on distingue des intérêts de catégories, mais l’intérêt général partagé par toute la Nation se dissimule obstinément aux yeux des meilleurs observateurs. Pourtant il est bien là.

Il est d’abord dans cette profonde banalité : l’intérêt général de ceux qui se trouvent dans un endroit, une demi-île, avec d’autres semblables, amis ou adversaires, c’est que la vie soit vivable. Entre le plus riche des bourgeois diplômés et la plus humble des paysannes, il y a certes tous les écarts que l’on connaît, et de nombreux intérêts opposés, mais il y a quand même deux points communs : le premier c’est qu’ils partagent, même de manière très inégale, la même terre.

Le second c’est que l’existence de l’un suppose celle de l’autre. Les uns peuvent vouloir maintenir ou renforcer leurs avantages, les autres peuvent vouloir gagner sur les premiers, mais même cette opposition suppose un cadre, et l’acceptation de ce cadre. Le plus violent des matches de foot suppose quand même qu’on soit d’accord pour jouer au foot sur le même terrain.

L’intérêt général n’est d’ailleurs pas le contraire des intérêts particuliers. Il est leur cadre, leur contenant, quelque chose qui les contient. Les intérêts particuliers en effet, pour continuer à s’exercer, ne doivent pas être destructeurs de leur environnement. En général, un intérêt général bien compris et bien partagé, loin de supprimer les appétits des individus ou des classes sociales, au contraire les aiguise.

Cela ne supprime pas les conflits ni les violences. Mais cela permet de les rendre compatibles avec la vie en société. C’est pourquoi l’intérêt général n’est pas qu’une vague abstraction pleine de bonne volonté, mais s’incarne immédiatement dans un ensemble précis de règles du jeu et de procédures.

Chacune de ces règles du jeu doit être comprise par tous. Il n’est pas nécessaire qu’elle soit tout le temps respectée, cela même Dieu ne le demande pas aux hommes. Mais on doit savoir, quand on enfreint une règle, qu’elle a cependant été mise là dans l’intérêt de tous.

Pour cela il faut d’abord être convaincu que "l’intérêt de tous" existe. Et cela suppose un récit, un grand dessein, une ambition, un projet, on peut l’appeler de différente façon. La république américaine racontait l’utopie d’un monde libre et prospère. La révolution française s’est faite au nom des Lumières, la russe voulait construire le communisme, l’unité italienne a eu ses opéras et ses poètes. Quel est le projet d’Haïti ?

Il me semble que cela ne peut pas être seulement le développement, bien que, bien sûr, il faille le développement. Cela ne peut pas être seulement "la construction d’un Etat de droit", ce qui est juste mais froid et abstrait. Peut-être faut-il demander aux poètes, aux musiciens, aux romanciers, aux peintres, aux auteurs de théatre d’apporter leur concours et d’habiller de talent le récit de l’intérêt général des Haïtiens.


Margaret Cartier

mag.cartier@gmail.com
castillecastillac@gmail.com

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