Sunday, April 30, 2006

LUTTER CONTRE LA CORRUPTION

Eradiquer la corruption dans l’administration d’un pays est une tâche extrêmement difficile et ceux qui s’engagent dans cette voie doivent s’attendre à un long chemin semé d’embûches, de risques et d’ingratitude. Les effets positifs ne se verront qu’à long terme, alors que les inconvénients politiques se manifesteront tout de suite. Enumérons-les. Un des premiers sera l’inévitable présence de corrompus dans son propre camp. De nombreux gouvernements, ceux des Etats-Unis ou du Brésil par exemple pour ne pas parler d’Israël, de la Palestine ou de l’Ukraine, sont aujourd’hui contestés, voire déconsidérés par la révélation de scandales dont l’opprobre rejaillit sur l’ensemble du pouvoir.

De ce fait un gouvernement vertueux mais avisé réfléchira toujours deux fois avant d’afficher en tête de son programme : « Je m’engage à lutter contre la corruption ». Dans ce domaine encore plus que dans d’autres, les actes comptent plus que les paroles, et si l’on veut faire, il vaut mieux ne pas dire. Le deuxième inconvénient est que la corruption, quand elle est profonde, constitue un système : quand on veut supprimer les ravets, il ne suffit pas d’en tuer un ou dix, il faut les éliminer tous et revoir de fond en comble la propreté de la maison et de ses alentours.

Les corrompus se rendent des services entre eux, et si vous vous attaquez à un policier il vous mènera à un juge, qui lui-même conduira à un responsable de la douane, et ainsi de suite. On ne sait donc pas par où commencer, et faire tomber l’ensemble des corrompus d’un coup se révèlerait en pratique impossible d’une part et catastrophique d’autre part. On ne va pas mettre la moitié de la fonction publique en prison.

Faut-il alors se résigner au maintien durable d’une forte corruption dans ce pays ? Sûrement pas. D’abord parce qu’il faut rappeler les insupportables dégâts de cette maladie : gaspillages de l’argent public, injustice, violence, inefficacité. Cette gangrène mène au règne des gangs.

Mais il y a une autre raison de ne pas se résigner. C’est qu’il est possible de lutter efficacement contre ce mal. Pour cela il faut un plan d’ensemble et commencer par remettre le problème sur ses pieds. La source de la corruption est en effet autant l’existence de corrupteurs que celle de corrompus. Or si les corrompus sont généralement puissants, malins et bien protégés, il n’en va pas toujours de même des corrupteurs. On commencera donc par une très grande sévérité envers eux et, avant de s’attaquer aux principaux corrompus, on tentera d’assécher le système de corruption en agissant à sa source : l’argent des clients.

Il est plus réaliste en effet de tolérer un certain degré d’impunité chez les corrompus, tout en essayant de créer le maximum d’insécurité chez les corrupteurs. La deuxième étape du plan d’ensemble consiste à considérer la corruption comme un réseau, une forme de réseau terroriste, et d’y appliquer la méthode des « opérations ciblées » : en agissant sur quelques personnages-clés, les nœuds du réseau, on obtient beaucoup plus d’effets qu’en arrêtant une centaine de coupables pris au hasard. Si les cibles sont bien choisies, les réseaux de corruption se démantèleront en partie tous seuls. Enfin le plan serait incomplet et inefficace s’il n’était pas complété par un troisième volet : la politique de la fonction publique.

Les fonctionnaires de tous les pays ont en effet un point commun : ils sont particulièrement faciles à corrompre quand ils sont mal payés, voire pas payés du tout comme en Haïti dans de nombreux secteurs, et mieux ils sont payés, plus désirables et respectée est leur carrière, et moins ils se laissent corrompre. Il n’y a pas de secret. Ce n’est pas en bourrant le crâne des fonctionnaires de grands discours sur la Vertu en général et celle du service public en particulier, ni même en leur inculquant la peur des sanctions que l’on obtient les meilleurs résultats, mais en les payant bien.


Margaret Cartier
Paris, le 20 avril 2006

castille@magdotcom.net

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