Monday, May 29, 2006

LES VERTUS DE LA SEPARATION DES POUVOIRS

La démocratie moderne a été d’abord pensée, laborieusement, par des Anglais, au 17° siècle, Thomas Hobbes et John Locke, puis formalisée par des Français, notamment Montesquieu et Rousseau, au 18° siècle et enfin par des Américains, en particulier Madison, principal rédacteur de la constitution. Cet effort, qui s’étale sur deux siècles, a été accompli par des auteurs très différents les uns des autres, vivant dans des contextes fort éloignés. Un de leurs points communs en revêt donc toute sa force, celui de l’importance de la séparation des pouvoirs, exécutifs, législatifs et judiciaires.

Pour eux la démocratie n’est juste et efficace qu’à la condition que des personnes différentes exercent la réalité de ces différents pouvoirs. L’exécutif, c’est le gouvernement, et l’administration qui en procède. A lui d’agir, de mettre en œuvre les choix de la Nation. A lui aussi de réprimer, de punir. Mais l’exécutif ne fixe pas lui-même ces choix. Il agit dans un cadre précis et limité par le pouvoir législatif. Ce dernier, c’est-à-dire le parlement, ne se contente pas d’élaborer le tout venant des lois. Il fixe aussi le programme, les objectifs, les priorités. Ce que le pouvoir exécutif exécute, ce sont les ordres du législatif.

En quelque sorte il lui est subordonné. C’est notamment le cas en matière de finances publiques, tant pour ce qui concerne les recettes, c’est-à-dire les impôts et les taxes, que pour les dépenses, les moyens des administrations. Une telle subordination ne s’est jamais observée en Haïti. Ici le pouvoir, traditionnellement, vient d’en haut, du chef, du leader, du président. Dans la tradition haïtienne, c’est plutôt le parlement qui obéit au chef de l’exécutif.

Or, il faut le répéter, les fondateurs de la démocratie sont unanimes : pour qu’elle fonctionne bien, c’est-à-dire qu’elle conjugue efficacité et justice, il faut non seulement une vraie séparation des pouvoirs, mais aussi un contrôle de l’exécutif par le législatif. Et un contrôle véritable, indépendant, sévère, et doté de moyens de sanction : le parlement doit pouvoir effectivement, sans drame, renverser le gouvernement..

Dans tous les régimes présidentiels, aux Etats-Unis, en France ou en Haïti, il y a donc une contradiction puisque le chef de l’exécutif, le président, est élu en tant que tel et dispose donc d’une légitimité politique égale sinon supérieure à celle des députés et des sénateurs. On met donc le parlement dans une situation d’infériorité qui risque de l’empêcher de jouer son rôle. Mais cette difficulté n’est pas insurmontable, si les uns et les autres jouent leur rôle et uniquement le leur.

Tout cela est bien connu, mais ce qui l’est moins ce sont les rapports de ces deux pouvoirs avec le troisième, le judiciaire. Pour les pères fondateurs, le judiciaire doit pouvoir sanctionner l’exécutif, lui demander de mettre en pratique les décisions des juges mais aussi encadrer les décisions du parlement. Les lois élaborées et votées par le parlement doivent être respectées, mais ce n’est pas à la police, à l’administration, donc à l’exécutif de décider si et quand elles ne le sont pas.

C’est au juge. Là encore le judiciaire vient donc rogner la toute-puissance de l’exécutif. Mais les juges doivent être impartiaux, et en particulier être absolument indépendants des partis politiques. Ce qui rend délicat la question de leur nomination et de leur carrière. En principe, dans une démocratie, ils ne doivent pas être nommés et encore moins promus par le gouvernement.

La plupart des jeunes démocraties, et en particulier celles des petits pays, ont tendance à considérer que tous ces beaux principes sont vieillots, trop « européens » et entravent l’efficacité. C’est un tort. C’est même le contraire qui est vrai : plus une démocratie est jeune, mal assurée, fait face à de pesantes traditions non-démocratiques et à une situation économique et sociale difficile, plus elle doit se raccrocher aux fondamentaux, aux règles profondes et simples des inventeurs du système : la séparation des pouvoirs n’est pas un luxe de riches, c’est au contraire une nécessité pour les pauvres, ce n’est pas une théorie fumeuse, c’est la base de l’efficacité pratique d’un pays. Enfin….il me semble.

Margaret Cartier
Paris, le 19 mai 2006

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