Friday, July 14, 2006

LE TRAVAIL DES PARTIS

C’est entendu, la vie politique est suspendue pendant la coupe du monde, et l’on sent, malgré les remontrances de l’OEA, comme une profonde lassitude à l’idée d’organiser les élections locales. Fatigue des citoyens après l’intensité des dernières joutes électorales ? Faible conscience des enjeux de ce « troisième tour » local ? Et si l’explication était avant tout à chercher dans une démobilisation de tout l’appareil des partis politiques ? Les partis ont bien travaillé, maintenant ils aspirent aux vacances. A de longues vacances. Normal dira-t-on, car au temps de guerre des campagnes électorales succède légitimement le temps de paix séparant deux élections.

Mais en Haïti, tout se passe comme si on ne pouvait travailler qu’en guerre. Et c’est une conception absurde de la politique. En effet, si une nation démocratique était une maison, l’exécutif en serait le toit, le parlement le salon, les lois en seraient les murs, mais quelles en seraient les fondations ? Et bien justement, les fondations de la maison-nation sont faites de la vie politique quotidienne. Et par quotidienne, il faut entendre même en temps de paix, surtout en temps de paix. Le travail d’un parti politique commence donc après les élections, il ne s’y termine pas.

Quel est-il ce travail d’un parti? Disons que pour simplifier, il se résume à deux tâches, l’une à l’intérieur de la maison, l’autre à l’extérieur. A l’intérieur de la maison démocratique, un parti comprend en principe des élus, qui ont été choisis par le peuple pour accomplir des missions. Même rares, mêmes humbles, mêmes locaux, ces élus constituent l’armature du parti, ses bras. Ils doivent d’abord accomplir le mieux possible leur tâche et le parti doit y veiller : compétence technique, honnêteté, présence constante à la tâche.

Ces élus sont présentés par un parti, mais une fois élus ils sont les élus de tous, et ils accomplissent leur mission en respectant une parfaite neutralité. Cependant, si dans la journée l’élu est celui de tous, une fois son travail accompli, il doit redevenir un militant. Il doit rendre des comptes à son parti, être un exemple, susciter des vocations, expliquer son action. Peu de choses sont plus mortelles pour un parti que de voir ses élus, une fois l’élection empochée, oublier comment ils sont parvenus là où ils sont. Mais l’élu qui trahit son parti fait lui aussi un calcul à courte vue, dans une véritable démocratie, car bientôt d’autres élections lui feront ressentir le besoin impérieux de disposer d’un appareil au service de sa réélection.

Mais l’autre grande tâche d’un parti est tout aussi importante bien que souterraine, et aussi humble qu’indispensable. C’est le travail de fond de l’opinion. Un parti ce sont normalement des millions d’heures de discussions, à la campagne, à la sortie de la messe, au bureau, entre amis ou en famille. Ce murmure incessant a beau n’être fait que de paroles fugitives, il est en réalité le creuset, le haut-fourneau où se forgent les plus solides opinions publiques. Cette usine à fabriquer l’opinion fonctionne principalement en « temps de paix », car elle demande du temps. Quand viennent les élections il est trop tard.

Cette leçon, c’est celle de l’histoire récente d’Haïti. Pense-t-on que Lavalas est sortie par génération spontanée des élections de 1991 ? Oublierait-on les années de militantisme, d'infiltration, de travail du corps social réalisé par son leader dès les années quatre-vingt ? Et par contraste, la dispersion et la faiblesse des partis, tant au sein de la majorité que de l’opposition, n’est-elle pas la conséquence de leur absence de travail (fainéantise, incurie ?) avant les dernières élections.

La morale de cette histoire, c’est que dès que le Brésil, voire l’Argentine, aura gagné la coupe du monde, les partis politiques haïtiens, tous les partis, feraient bien de se dire que les vacances ne commencent pas, elles sont au contraire terminées.

Margaret Cartier
Paris, le 23 Juin 2006

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