Friday, July 14, 2006

LES GANGS RODENT

(Et pendant ce temps là,...la Méditerrannée)

Dans un long article du Los Angeles Times du lundi 26 juin, Carol J. Willams dresse un portrait inquiétant mais mesuré de la situation actuelle du pays. Une phrase en particulier attire l’attention : « la paix post-électorale est tout autant orchestrée que la violence qui a précédé l’élection ». C’est juste, et nous l’avions déjà signalé, avec d’autres. Mais qu’est-ce que ça signifie ?

Une première hypothèse, évoquée en filigrane par l’article cité, est la suivante : la violence était organisée de l’extérieur par Aristide et ses partisans, de manière à discréditer le gouvernement intérimaire et favoriser l’élection de René Préval et de la coalition d’inspiration lavalassienne qui le soutient. Une fois le but atteint, les troubles ont en grande partie cessé. C’est possible. Mais si les théories du complot exhortent en général le public à faire preuve d’esprit critique et à ne pas croire les contes de fées que les pouvoirs aiment raconter, rien n’empêche d’exercer ce même esprit critique à l’endroit de ces théories elles aussi. Et cela conduit à faire d’autres hypothèses.

En premier lieu, il faut remarquer que la violence des gangs est une boite de pandore. Le pouvoir qui se commet avec eux court le risque de découvrir que dans la dialectique du maître et du serviteur, les brutes armées ne sont pas si stupides que ça. Elles commencent dans l’ombre comme nervis exécutant de basses œuvres mais finissent toujours par vouloir leur part de pouvoir au soleil. Et si des gens sont bien placés pour le savoir, c’est bien l’entourage d’Aristide. Manipulés ou non en sous-main par les Etats-Unis, ce sont bien des groupes armés devenus incontrôlables qui ont précipité la chute du précédent pouvoir en 2003 et 2004, en exacerbant la violence. Il serait bien étonnant qu’il soit plus facile de faire jouer un rôle politique cohérent à ces gangs à partir de l’Afrique du Sud qu’à partir du palais présidentiel. Il serait encore plus étonnant que le chaos des règlements de comptes se soit mué par miracle en un appareil politique fonctionnel et obéissant.

En bref, il est bien plus vraisemblable que, si des tentatives ont sans doute été faites pour faire jouer un rôle à une partie des gangs, au total personne ne maîtrise vraiment ces tueurs, qui se tuent entre eux autant, voire encore plus souvent qu’ils ne tuent des innocents.

Mais alors, pourquoi se sont-ils assagis ? Et s’ils sont plus sages, qu’attend-t-on pour les désarmer, comme la Minustah ne cesse de promettre de le faire depuis deux ans ? Sans doute ne saura-t-on jamais toute la vérité sur ces questions. Mais on peut imaginer ce qui se passe, faire des hypothèses.

La première est que ces gangs ne sont pas simplement ces dealers desperados issus des bidonvilles "qui n'ont pas le choix" que décrivent la plupart des médias. Ils sont connectés, par des liens complexes, avec la partie corrompue de l’appareil d’Etat. En fait ils en font partie. Dès lors, l’éradication de ces groupes armés ressemble à une opération de déminage : il faut du temps, de l’habileté, de la patience, et on court le risque en permanence de tout faire exploser. Il n’y a pas d’un côté les gangs, et de l’autre une société haïtienne propre en train de construire un Etat propre. Les deux sont mêlés inextricablement.

La seconde hypothèse est que le gouvernement actuel sait très bien tout ça. « Tout ça », cela signifie à la fois qu’il est très dangereux de faire commerce avec des groupes armés, et aussi qu’il faut faire très attention pour désamorcer cette bombe à retardement, quand la volonté s'en ferai sentir. Le gouvernement est donc un peu dans la situation d’un des consommateurs de la drogue vendue par ces dealers. Il faut absolument qu’il se déshabitue, sa vie en dépend, mais en même temps il faut défaire un à un les innombrables liens noués par cette drogue politique qu’est la corruption et le non-respect du droit. En attendant, les gangs rodent et opèrent, l'insécurité terrorise, l'armée n'est pas nécessaire et ceux qui pensent le contraire ne sont pas aux commandes. Bon....

Margaret Cartier
Paris, le 30 Juin 2006

castille@magdotcom.net

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