Friday, July 14, 2006

LES DEUX POLES DE LA DEMOCRATIE

La démocratie n’est pas une chose naturelle. C’est au contraire une construction artificielle qui s’oppose, pour ses inventeurs, à l’état de nature. Mais justement, de cet état de nature, il existe deux conceptions opposées, selon la réponse que l’on donne à la question suivante : l’homme est-il naturellement bon ? Non, répondent Saint-Augustin, Hobbes ou Madison, un des inspirateurs et rédacteur de la constitution américaine. *

Oui, pensent plutôt Locke, Rousseau ou les inspirateurs de la constitution française. Bien entendu ces grands auteurs sont plus nuancés que cela, il s’agit plutôt de deux pôles de la pensée démocratique, deux extrémités du terrain sur lequel se déroule la partie. Certains penseurs, certains pays, naviguent d’un côté à l’autre, mais cela n’empêche pas qu’il existe bien ces deux côtés.

Pour les pessimistes, l’homme est naturellement violent, tricheur, égoïste, et s’il a bien raison de poursuivre ses propres intérêts, il ajoute à cette poursuite une rude indifférence aux intérêts des autres et ne croit pas du tout spontanément à l’intérêt général. Cela vient sans doute du pêché originel. Dès lors la constitution est une armure destinée à protéger chacun contre tous et l’intérêt général contre la cacophonie et la violence des intérêts particuliers. Mais ce qui est vrai du simple citoyen l’est aussi de l’homme ou de la femme de pouvoir. Les institutions sont là pour les empêcher de trahir leur mandat.

C’est ainsi que dans la constitution américaine on peut lire une obsession du « check and balance », c’est-à-dire l’organisation de contrepouvoirs destinés à empêcher que le dirigeant démocratiquement élu fasse n’importe quoi, ce qu’il aura inévitablement tendance à faire. Un excellent exemple en a été montré récemment avec la décision de la cour suprême américaine rendant illégales les détentions à Guantanamo. C’est certes un peu tard, mais tout de même cela montre que les rédacteurs de la constitution américaine avaient une sainte horreur des abus de pouvoirs et de leur caractère « naturel ».

Pour les optimistes au contraire, le plus important, une fois organisée la paix civile et conjurée la violence, c’est que l’état de droit libère les vertus, les potentialités créatrices des individus. Ces penseurs regardent la même bataille que les premiers mais ils ne se concentrent pas sur les mêmes épisodes. Ils sont nourris du culte de la « vertu » romaine, ils pensent que l’éducation générale multiplie les citoyens et les dirigeants honnêtes et altruistes. Et qu’il faut donner à ces derniers toute la place, sans les entraver par de multiples contrôles paralysants. C’est l’esprit de la constitution française élaborée par et pour le général De Gaulle, et c’est aussi le fondement de la constitution haïtienne. Dans cette tradition, si l’on n’est pas forcément d’un optimisme béat pour la totalité de l’humanité, au moins a-t-on une grande confiance dans les vertus des élites.

Mais dans un pays comme Haïti, dont les élites n’ont - pour l’instant - pas démontré collectivement la constance de leur vertu, il serait sans doute intéressant d’ouvrir un jour le chantier d’une révision constitutionnelle. Il serait intéressant aussi d’essayer d’y mettre plus de réalisme, plus d’équilibre, et moins d’hypocrisie dans la conception de l’homme politique et du citoyen sous-jacente au droit haïtien, car la nature est harmonieuse et les classes populaires haïtiennes ne se distinguent pas n'ont plus par leur goût du raisonnable.


Margaret Cartier
Paris, le 12 juillet 2006

castillecastillac@gmail.com

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