Monday, December 26, 2005

ELECTING TO FIGHT

Ceux qui ont la chance et le goût de lire l’anglais ne doivent pas rater « Electing to Fight », un livre paru à la fin de l’été aux Etats-Unis, écrit par Edward Mansfield et Jack Snyder[1], deux professeurs de sciences politiques. C’est une lecture indispensable pour Haïti.

Les auteurs se fondent sur l’examen de dizaines de situations historiques dans le monde entier, pour avancer une conclusion qui contredit l’actuelle politique américaine de la « démocratie importée ». Ils insistent sur le fait que la démocratie repose non seulement sur des élections mais avant tout sur quatre conditions principales : une population alphabétisée, une économie raisonnablement prospère, un ensemble d’institutions démocratiques (élections, parlement, constitution) et enfin un appareil d’Etat (police, justice, gouvernement) suffisamment fort pour imposer des arbitrages entre les groupes sociaux.


Le processus qui conduit à la démocratie est long et dangereux disent-ils, car quand la démocratie est nouvelle, encore incertaine, pas suffisamment assise sur les quatre conditions précédentes, alors les gouvernements nouvellement élus sont inévitablement conduit à chercher du soutien dans l’évocation d’une menace étrangère. Les anciennes démocraties sont pacifiques, mais les nouvelles le sont bien moins que les dictatures.

Mansfield et Snyder pensent avant tout à l’Irak. Mais si on applique leur grille d’analyse au cas d’Haïti, leur thèse est très inquiétante. Le pays ne réunit manifestement pas les deux premières conditions (alphabétisation, économie), à la rigueur la troisième (institutions) –ça faut le dire vite- mais pas la quatrième (Etat fort). Mais pire encore, ils insistent sur le fait que, plus important que le fait de réunir les conditions d’une vraie démocratie, c’est l’ordre dans lequel on réunit ces conditions qui compte.


En particulier, des élections organisées avant que le reste du terreau démocratique existe créent paradoxalement les conditions d’un blocage durable de la démocratie, en conduisant à des pouvoirs populistes et violents. Là encore, ils donnent de très nombreux exemples dans les 288 pages de leur ouvrage.

Déprimant. Parce qu’évidemment c’est exactement ce qui est en train de se passer ici. Au lendemain des élections, en admettant qu’elles se déroulent bien, la population ne se réveillera pas prospère et éduquée par la magie du processus électoral. Et, confronté aux inévitables difficultés qui ne manqueront pas de suivre, le nouveau pouvoir sera attiré comme par une pesanteur vers l’invocation d’une agression extérieure (les Dominicains et les Américains étant les meilleurs candidats pour ce rôle de diables) et la répression de toute opposition, avec d’autant moins de scrupules qu’il aura été démocratiquement élu.

Il faut être conscient du risque dès à présent. Les observateurs impartiaux n’auront pas fini leur travail quand on remisera les urnes dans leur placard, au contraire. Je l’ai déjà écrit ici, les élections sont un début, pas une fin. Mais on serait tenté de répondre à Mansfield et Snyder : nous Haïtiens, avons-nous le choix ? Que faire concrètement des conclusions de leur livre, à part être vigilants ? Le processus démocratique serait-il plus avancé s’il n’y avait pas d’élections ? A l’évidence, non. Et comme la politique est l’art de choisir entre deux maux, les risques d’une élection trop précoce – dont ils ont raison de nous avertir – sont moindres que ceux de pas d’élection du tout.

TRES BON NOËL A TOUS !!!!!

Margaret Cartier
Paris, le 21 décembre 2005

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[1] Electing to Fight : why emerging democracies go to wart, MIT Press