Friday, June 09, 2006

PORT-AU-PRINCE NE VEUT PLUS ETRE HAITI

Les élections locales ne peuvent pas se tenir pendant la coupe du monde de football, apprend-t-on. Elles risquent d’être reportées jusqu’en septembre. Cette information passera sans doute à peu près inaperçue auprès des observateurs internationaux, et elle ne provoquera guère d’émoi non plus auprès de la grande majorité des électeurs. Ils sont sans doute lassés des difficultés pratiques des deux précédents scrutins, et on peut les comprendre. Mais cette indifférence est pourtant bien regrettable.

Outre qu’un pays qui ne peut pas organiser d’élections en raison de l’existence, à dix mille kilomètres de sa capitale, d’une compétition sportive, ne donne pas la plus éclatante des images de sérieux, il y a surtout que les élections locales, en Haïti, sont une composante majeure, essentielle, de la construction d’une démocratie que beaucoup appelons de nos voeux.

Bien sûr, des élections aux conseils municipaux, aux Casec, aux Asec et aux délégués de ville, cela n’évoque pas Shakespeare, et un certain goût du drame "bien de chez nous" n’y trouve pas son compte. Difficile d'y voir la lutte du Peuple contre les Oppresseurs, de la Modernité contre l’Archaïsme, du Créole contre le Français, du Nouveau Mal sacré Bien contre l'Ancien, et autres contes à dormir debout mais qui font voter. Et Pourtant…

Il n’y aura pas de démocratie mûre en Haïti, chez vous, chez moi si elle n’est pas d’abord locale. Contrairement au Brésil, à la Chine, à L’Allemagne, ce pays n’a pas la chance d’avoir au moins deux grandes villes, il n’en a qu’une, il s'agit de mon feu Port-au-Prince. De ce fait, la notion de « classe politique haïtienne » se confond avec celle de « classe politique de Port-au-Prince ». Politiquement ce pays n’est pas un pays, c’est une ville, avec de la campagne autour.

Une bonne part de son instabilité politique vient de là. Et le remède ne peut pas être seulement que la vie civile de Port-Au-Prince devienne plus policée. Il faut en outre qu’une authentique vie politique se développe dans les provinces et qu’elle se fasse entendre à la capitale, d’une voix forte, digne et respectée, ce qui est le contraire des cris d'animaux féroces.

Au niveau local, le chemin qui conduit à ce rééquilibrage est le même que celui qu’à dû emprunter le pays dans son ensemble : d’abord une forte participation aux élections, ensuite le développement d’une économie durable. Mais plus que d’un peuple, qu’ils ont déjà, les départements ont surtout besoin que leur revienne une bourgeoisie capable et sereine. C’est pourquoi le développement économique durable d’Haïti passe par l’essor de petites usines, de ciment, de fabrication de bière, de transformation du riz, de production d’électricité, adossées aux productions agricoles et minérales locales, et protégées pour vingt ans du risque d’être rachetées par des groupes « nationaux », c’est-à-dire basés dans la capitale.

Au Cap-Haïtien, aux Gonaïves, à Saint-Marc, à Jérémie, aux Cayes, il faut des accès Internet, des banques, des petits patrons, qui deviendront grands. Et une classe politique locale compétente, consciente certes de la solidarité patriotique nationale mais également de ses propres intérêts locaux, et prête à les défendre. Mais pour commencer ce processus, il est impératif que les élections locales soient prises autant au sérieux que les deux précédentes. Ce n’est pas le cas pour l’instant….

Margaret Cartier
Paris, le 02 Juin 2006


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