Monday, May 01, 2006

LES DANGERS DE LA COALITION

Haïti a réussi une première étape, celle des élections. Bien sur, on aurait aimé plus de participation aux législatives, un meilleur respect de la loi électorale lors du premier tour de présidentielles, et moins de dispersion des sièges dans les deux assemblées. Il y a eu des violences jusqu’en février, d’innombrables problèmes techniques et d’organisation. N’oublions pas ces problèmes, et qu’ils disparaissent lors des prochaines consultations. Mais au total, c’est une réussite, et il n’y en a pas eu suffisamment dans mon pays depuis deux décennies, pour qu’on ne prenne pas le temps de se réjouir de ce succès. Aucune élection n’est parfaite, l’Italie ou même les Etats-Unis l’ont prouvé récemment. Haïti ne pouvait pas atteindre la perfection du premier coup. D’énormes progrès sont néanmoins à accomplir et on ne peut pas se contenter du niveau actuel de fonctionnement de la démocratie. Mais au moins elle fonctionne, et c’est une nouveauté.

Cependant, une étape n’est qu’une étape et chacun doit avoir l’esprit tourné vers la suivante. Car il y en aura d’autres, le chemin est long et rien n’est encore acquis. La seconde étape sera celle de la formation d’un gouvernement reflétant les résultats du vote du mois d’avril. Cet exercice comporte de nombreux dangers, tout aussi redoutables que ceux qui rôdaient autour des élections elles-mêmes. On sait en effet que si le parti Lespwa est sorti nettement en tête de ce scrutin, confirmant de manière prévisible le résultat de la présidentielle, il n’obtiendra pas la majorité au Sénat, et sans doute moins du tiers des sièges à la chambre des députés. C’est un résultat qui serait considéré comme extrêmement faible dans la plupart des démocraties, dans lesquelles le parti d’un président, qui plus est élu au premier tour, obtient presque toujours la majorité absolue. Mais cela reflète la très forte division, pour ne pas dire l’immaturité du système des partis politiques haïtiens.

Il est très encourageant que le futur président ait multiplié les gestes d‘ouverture, comme il est en apparence très rassurant que d’autres leaders politiques aient répondu à ces gestes de façon positive, d’Evans Paul soulignant que le soutien de Préval par Alyans était acquis sans condition, puisque ce dernier avait gagné de façon incontestable, au porte-parole de Fusion écartant par avance tout « Obstructionisme ». Très bien. Mais peut-être trop bien.

Car il reste à apprendre en Haïti que la démocratie ne sera durablement installée ici que le jour où il existera un gouvernement élu démocratiquement et en mesure de gouverner pleinement ET une opposition représentant une alternative. Pour l’instant il n’existe que la roue avant du vélo, celle qui oriente, mais pas encore de roue arrière, celle qui stabilise.

René Préval va devoir en effet montrer son talent dans l’exercice difficile de savoir jusqu’où élargir sa coalition. Trop étroite, elle sera instable et le ou les petits partis appelés à la rescousse exerceront une influence disproportionnée par rapport à leur poids électoral réel. C’est la situation que connaissait Israël avant Sharon, et elle est très dangereuse pour la démocratie, même si elle en respecte en apparence les formes. Mais si au contraire cette coalition devenait trop large, elle serait dangereuse elle aussi car, sous couvert d’une émouvante « union nationale », elle aurait pour conséquence de réduire l’opposition à quelques confettis hétéroclite.

Or la démocratie en Haïti a presque autant besoin d’une opposition que d’une majorité. Il faut comprendre que le pays a en fait besoin des deux : un gouvernement en mesure de gouverner, de prendre ses responsabilités, mais aussi une opposition représentant une alternative. Pas une opposition systématique, destructive, une opposition d’obstruction. Mais une opposition d’alternative, de concurrence, voire de recours. Le défi du nouveau président sera donc de savoir d’arrêter : une trop étroite coalition le condamnerait à l’instabilité et donc à l’inaction, mais une trop large, même constituée par souci de générosité et d’union nationale, serait une négation du principe même de la démocratie : le parti au pouvoir doit avoir des concurrents. Il faudrait être vraiment optimiste pour croire que Lavalas, LAAA, l’Union, le MIRN et ainsi de suite puisse un jour s’entendre pour proposer une alternative.

Margaret Cartier
Paris, le 27 Avril 2006

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Sunday, April 30, 2006

LUTTER CONTRE LA CORRUPTION

Eradiquer la corruption dans l’administration d’un pays est une tâche extrêmement difficile et ceux qui s’engagent dans cette voie doivent s’attendre à un long chemin semé d’embûches, de risques et d’ingratitude. Les effets positifs ne se verront qu’à long terme, alors que les inconvénients politiques se manifesteront tout de suite. Enumérons-les. Un des premiers sera l’inévitable présence de corrompus dans son propre camp. De nombreux gouvernements, ceux des Etats-Unis ou du Brésil par exemple pour ne pas parler d’Israël, de la Palestine ou de l’Ukraine, sont aujourd’hui contestés, voire déconsidérés par la révélation de scandales dont l’opprobre rejaillit sur l’ensemble du pouvoir.

De ce fait un gouvernement vertueux mais avisé réfléchira toujours deux fois avant d’afficher en tête de son programme : « Je m’engage à lutter contre la corruption ». Dans ce domaine encore plus que dans d’autres, les actes comptent plus que les paroles, et si l’on veut faire, il vaut mieux ne pas dire. Le deuxième inconvénient est que la corruption, quand elle est profonde, constitue un système : quand on veut supprimer les ravets, il ne suffit pas d’en tuer un ou dix, il faut les éliminer tous et revoir de fond en comble la propreté de la maison et de ses alentours.

Les corrompus se rendent des services entre eux, et si vous vous attaquez à un policier il vous mènera à un juge, qui lui-même conduira à un responsable de la douane, et ainsi de suite. On ne sait donc pas par où commencer, et faire tomber l’ensemble des corrompus d’un coup se révèlerait en pratique impossible d’une part et catastrophique d’autre part. On ne va pas mettre la moitié de la fonction publique en prison.

Faut-il alors se résigner au maintien durable d’une forte corruption dans ce pays ? Sûrement pas. D’abord parce qu’il faut rappeler les insupportables dégâts de cette maladie : gaspillages de l’argent public, injustice, violence, inefficacité. Cette gangrène mène au règne des gangs.

Mais il y a une autre raison de ne pas se résigner. C’est qu’il est possible de lutter efficacement contre ce mal. Pour cela il faut un plan d’ensemble et commencer par remettre le problème sur ses pieds. La source de la corruption est en effet autant l’existence de corrupteurs que celle de corrompus. Or si les corrompus sont généralement puissants, malins et bien protégés, il n’en va pas toujours de même des corrupteurs. On commencera donc par une très grande sévérité envers eux et, avant de s’attaquer aux principaux corrompus, on tentera d’assécher le système de corruption en agissant à sa source : l’argent des clients.

Il est plus réaliste en effet de tolérer un certain degré d’impunité chez les corrompus, tout en essayant de créer le maximum d’insécurité chez les corrupteurs. La deuxième étape du plan d’ensemble consiste à considérer la corruption comme un réseau, une forme de réseau terroriste, et d’y appliquer la méthode des « opérations ciblées » : en agissant sur quelques personnages-clés, les nœuds du réseau, on obtient beaucoup plus d’effets qu’en arrêtant une centaine de coupables pris au hasard. Si les cibles sont bien choisies, les réseaux de corruption se démantèleront en partie tous seuls. Enfin le plan serait incomplet et inefficace s’il n’était pas complété par un troisième volet : la politique de la fonction publique.

Les fonctionnaires de tous les pays ont en effet un point commun : ils sont particulièrement faciles à corrompre quand ils sont mal payés, voire pas payés du tout comme en Haïti dans de nombreux secteurs, et mieux ils sont payés, plus désirables et respectée est leur carrière, et moins ils se laissent corrompre. Il n’y a pas de secret. Ce n’est pas en bourrant le crâne des fonctionnaires de grands discours sur la Vertu en général et celle du service public en particulier, ni même en leur inculquant la peur des sanctions que l’on obtient les meilleurs résultats, mais en les payant bien.


Margaret Cartier
Paris, le 20 avril 2006

castille@magdotcom.net