Monday, March 06, 2006

QUI DECIDE ET QUI AGIT

Les fondateurs de la démocratie moderne, en Angleterre au 17° siècle puis, au 18°, en France et en Amérique, partageaient tous une même obsession : le budget. La démocratie se concrétisait pour eux d’abord et avant tout par l’élaboration et la discussion publique du budget de l’Etat, bien avant et au-dessus de tous les discours ronflants sur le Peuple, la Nation, la Liberté, etc.

Aujourd’hui, reconstruire la démocratie suppose de ne pas s’écarter de cette vieille sagesse des démocrates et cette ancienne question reste au cœur des enjeux de l’Haïti de demain. Cela suppose de traiter publiquement quatre questions :

- La première est : de combien disposons-nous exactement ? Il faut le dire clairement et publiquement. Quels sont les montants exacts de l’aide internationale disponible ? Quelles sont les rentrées fiscales de l’Etat ? (Oui je sais il faut reconstruire celui-ci). Que représentent les fonds versés par la diaspora ?

- La seconde consiste à exposer et à chiffrer les actions prioritaires : que coûtera un plan de reconstruction de l’électricité ? (Obscurité et obscurantisme font bon ménage) Quels fonds sont nécessaires pour faire redémarrer l’agriculture, notamment le riz ? Combien pour la police, l’éducation, les hôpitaux, la justice ?

- La troisième question est celle des priorités, et c’est elle surtout qui suppose un débat public de la plus grande transparence. Le nouveau gouvernement ne pourra pas tout faire. Il a intérêt à le dire et à organiser un débat à ce sujet. Les choix seront douloureux. Chaque dollar qui va vers ceci est soustrait à cela. L’argent pour la police, c’est autant de moins pour l’éducation, et inversement. (sachant que sans la sécurité tout devient cruellement éphémère). La politique consiste à choisir entre deux maux, c’est sa malédiction mais aussi sa noblesse. Et dire que l’on pourra tout faire sans avoir le courage d’évoquer, au moins un moment, ce qu’on ne pourra pas faire, c’est l’assurance à la fin de ne rien faire du tout.

- Enfin la quatrième question est celle du contrôle. C’est précisément pour cela qu’a été inventée la théorie de la séparation des pouvoirs. L’exécutif, le gouvernement, a pour fonction d’agir, mais dans un cadre fixé par le parlement. C’est lui qui définit les moyens d’action – le budget - et leur répartition, à charge pour le gouvernement et son administration de mettre en œuvre ces choix. Mais le parlement ne donne pas un blanc-seing à l’exécutif. Il doit contrôler et éventuellement sanctionner les résultats de son action.

On le voit, la tradition politique haïtienne est bien éloignée, pour l’instant, de ces préceptes. Le pouvoir politique a toujours été concentré dans l’exécutif, autour d’un homme providentiel, avant-hier Duvalier, hier Aristide, dont la légitimité était censée le dispenser des quatre étapes et des quatre débats que je viens d’évoquer. Mais c’est justement en cela qu’il n’y avait pas de démocratie, ni d’efficacité finalement.

Aujourd’hui, Haïti vient d’élire démocratiquement un président. Je le dis vite, oui. Mais la nature même de son élection devrait l’empêcher de se précipiter vers les vieux réflexes, c’est-à-dire de penser : j’ai le pouvoir, moi seul, dans ma personne, et toute opposition, toute procédure est un obstacle à la volonté du peuple.

Dans une véritable démocratie, le président élu en février ne serait chargé que de mettre en œuvre la politique débattue et arrêtée par le parlement élu en mars (ou en avril, si de nouveaux délais interviennent). Pour autant que ce parlement tienne droit dans ses bottes. D’où l’importance essentielle, même si elle est moins spectaculaire que l’élection d’un individu, des élections législatives à venir. La route de la démocratie est encore longue. Très longue. Mais il n'y a pas de but suprême, n'est-ce pas? Il est sur le chemin qui y mène. Nul n'ignore cela de nos jours.


Margaret Cartier
02 Mars 2006

castille@magdotcom.net
mag.cartier@gmail.com

Paru dans Le Matin d'Haiti, édition du Vendredi 3 Mars 2006