Monday, March 27, 2006

OU EN EST LA VIOLENCE ?

La violence, pendant la campagne électorale et les deux ans qui l’ont précédée, était spectaculaire, endémique, commentée dans le monde entier. On l’a assez souligné, elle semblait même hors d’atteinte des troupes de la Minustah. Des casques bleus ont été tués. Des Européens enlevés.

Les élections ont eu lieu. Où en est-on aujourd’hui de cette violence ? Il faut dans ce domaine être extrêmement prudent. Chers lecteurs, sur ce chapitre, je ne suis pas mieux informée que vous, je ne suis pas dans les secrets des postes de police, je suis bien incapable de faire le compte chaque matin des victimes d’agressions soignées dans les cliniques, et je ne connais personne qui le fasse. Mais on dirait que, il semble que, j’ai l’impression que la violence a baissé depuis l’élection de René Préval. Qu’un lecteur qui d’aventure viendrait juste d’être victime d’une agression, lui ou un de ses proches, me pardonne et qu’il soit assuré de ma plus sincère solidarité, mais je me situe ici au niveau des tendances, des phénomènes susceptibles d’une interprétation politique. Il se trouve qu’on ne parle plus de tirs à l’encontre de casques bleus, ni de l’incapacité pour les médecins ou les ONG de faire normalement leur travail.

Tiens, tiens ! Imaginons que la violence de ces derniers mois ait été le fait de « gangs », de criminels de droit commun. C’est ce qu’on racontait la plupart du temps. Un gang, dans tous les pays du monde, est intéressé par l’argent, pas par la politique. Ses membres, qu’ils appartiennent aux triades chinoises ou à la Mafia, n’ont que faire des résultats électoraux, si tant est qu’ils en soient informés. Une violence de droit commun est constante, ou croissante, et si elle décroît c’est grâce à quelque action d’éclat de la police, des arrestations, un démantèlement -et certes non, grâce aux poses d'irresponsables célébrités. Rien de tel ne s’est produit ici à ma connaissance.

Il faudrait donc en conclure que la violence des mois précédents était bel et bien politique.

Il ne faut sous-estimer ni l’intelligence de Condoleeza Rice et de ses services, ni celle des gouvernements caraïbéens ou sud-américains. Tout cela se voit et se sait. Les connaisseurs de la situation haïtienne ne sont pas dupes. Cette élection s’est déroulée dans un climat de violence et d’intimidation qui s’est miraculeusement dissipé quand un certain candidat a été élu. On peut en conclure qu’à tout le moins les violents n’étaient pas farouchement opposés à cette victoire. Mon but n’est pas de diminuer l’importance historique de la forte participation au vote. Mais aujourd’hui, ce président élu d’une manière acceptable, l’environnement international d’Haïti entend qu’il se débarrasse de cet encombrant adjuvant de sa victoire. Le pourra-t-il ? Le veut-il ? Les pays voisins le souhaitent ardemment. Mais, dans l’hypothèse où il n’y parviendrait pas, gageons que l’addition lui sera fermement adressée.

Il est possible que je me trompe. La violence était essentiellement de droit commun, elle est toujours là. Elle s’est simplement faite plus discrète car le contexte est moins favorable. Personne ne manipule personne, aucun commando n’est venu officiellement d’Afrique du Sud, il y a juste des délinquants qui profitent de la déliquescence des forces de police. Ce n’est pas plus rassurant, au fond. Politiquement oui, c’est préférable. L’idée que des troubles préalables à une élection airent été l’instrument d’une victoire électorale est un des pires cauchemars des authentiques démocrates. Mais l’idée que la société haïtienne secrète des criminels de droit commun capables de tenir tête à une force armée internationale de plusieurs milliers d’hommes n’est pas plus rassurante.

Dans tous les cas, démocratique ou non : que la violence disparaisse vraiment, c’est qu’il faut souhaiter à tous les Haïtiens, même les coupables… dans un premier temps.


Margaret Cartier
Paris, le 23 Mars 2006

www.magdotcom.net

castillecastillac@gmail.com
matinales@magdotcom.net

Paru dans le Matin d'Haiti, édition du 24 Mars 2006