Wednesday, June 21, 2006

LES INDUSTRIES CULTURELLES, UNE DES CHANCES D'HAITI

J’ai déjà eu l’occasion dans cette colonne de rappeler ce principe de réalité : à la fin c’est toujours l’économie qui commande. La triple priorité, les infrastructures, l’électricité et l’agriculture, ne doit jamais être oubliée car c’est un long chemin aride mais nécessaire. Le moindre mètre gagné sur ce chemin est une bénédiction et rend d’autres choses possibles, le moindre retard se traduit par des vies en moins. Mais ce n’est pas parce que le point de départ est extrêmement difficile que l’on doit oublier qu’il n‘est qu’un point de départ.

Projetons-nous un instant dans un scénario optimiste : nous sommes en 2016, dans dix ans, -autant dire demain- et Haïti, suivant le plan concocté par le Fonds Monétaire International, a réussi la première étape. L’électricité est revenue, et avec elle la sécurité quotidienne. Des routes et un chemin de fer sont là, et sont empruntés quotidiennement par des personnes et des marchandises. Haïti a retrouvé son autosuffisance alimentaire. Le pays a repris honorablement l'export du riz, des mangues, du café. Sur cette base, de petites industries locales produisent du ciment, du savon, des habits destinés au marché intérieur ou revendues à de grandes firmes internationales.

Mais y a-t-il un avenir industriel pour Haïti ? Sans doute, car dans le cadre de la nouvelle économie mondiale, le retour de la tranquillité intérieure permettra au pays de vendre ce dont il dispose le plus, c’est-à-dire ses bras, et pour mettre les pieds dans le plat, sa main d’œuvre à bon marché. La main d’œuvre à bon marché, ce n’est pas le plus glorieux des destins. Mais c’est le ventre des femmes qui la produit, et quand elle est là, elle est là. Il vaut alors mille fois mieux qu’elle soit employée avec des salaires de misère que pas employée du tout. Mieux valent les duretés de l’usine que celles du bidonville. Pourtant Haïti peut faire mieux que cela, pour être passé assez près il y a quelques décennies.

Une des chances de mon pays, s’il sort la tête hors de l’eau, est la révolution en cours dans les industries culturelles. Bien sûr nous avons d’autres chats à fouetter et cette révolution en cours passe ici en grande partie inaperçue. Mais elle a pourtant lieu, dans le monde entier. De quoi s’agit-il ? Des effets du numérique, de la numérisation du traitement des images, des sons, des textes. Prenons un bon studio d’enregistrement de musique. Il coûtait plusieurs dizaines de milliers de dollars il y a encore quinze ans. Aujourd’hui, avec un simple micro-ordinateur à 600 dollars et quelques logiciels, on fait mieux.

La même chose, dans des proportions différentes, est en train de se produire pour le cinéma, la télévision, le livre, etc. Dans ce nouveau contexte de baisse des coûts, qu’est-ce qui reste rare ? Deux choses, le talent et la promotion. Or Haiti regorge de musiciens, d’écrivains, de dessinateurs, de danseurs, de plasticiens. Et le pays dispose, malgré les vicissitudes de l’histoire, d’une légitimité culturelle, d’une influence musicale et littéraire de première grandeur. Haïti est sûrement plus pauvre que la République Dominicaine, mais culturellement, c’est l’inverse. Cela tient pour toutes les Antilles, et est dit sans chauvinisme aucun, pour qui me connaît.

Il faut donc faire quelque chose de ce talent, et adopter à ce sujet une véritable stratégie industrielle, un plan à long terme. Ce n’est pas contradictoire avec l’idée qu’aujourd’hui l’essentiel est ailleurs, dans les transports, l’électricité, l’agriculture, la police et les hôpitaux. C’est au contraire complémentaire. Dans le grand concert des nations, dans lequel ce pays revient jouer sa partition, il faut rendre service au monde – et en tirer bénéfice – en lui apportant ce que nous avons un peu plus que d’autres ne l’ont. Et les talents musicaux, graphiques et littéraires en font partie. Or, si les industries culturelles créent peu d’emplois, elles rapportent beaucoup de devises, c’est d’ailleurs un des premiers postes de recettes de la balance des paiements américaine.

Margaret Cartier
Paris, le 19 juin 2006


paru dans Le Matin d'Haiti édtion du Mardi 20 Juin 2006

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