Friday, June 16, 2006

QU'EST-CE QU'UN BON MINISTRE ?

(ILS SONT VENUS. ILS SONT TOUS LA.)

La présentation du cabinet de Jacques Edouard Alexis semble, en première analyse, un non-événement. Une petite moitié des dix-huit « nouveaux » ministres l’étaient déjà dans un précédent gouvernement de la même équipe. Surtout, c’est à ces visages déjà connus qu’ont été confiés les ministères stratégiques, l’ordre et la justice, l’agriculture et les infrastructures. S’il y a donc bien du sang nouveau, c’est dans une proportion et à des postes secondaires. Il serait pourtant prématuré d’y lire les sombres prémisses d’une répétition des impuissances notoires de la même équipe déjà au pouvoir sous l’ère Aristide.

Après tout, la classe politique de mon Haiti est si étroite qu’il n’est pas totalement surprenant de voir revenir, malgré les alternances, toujours un peu les mêmes noms. Mais l’occasion est excellente pour se poser cette question : qu’est-ce qu’un « bon » ministre ?

De tous les postes importants d’un Etat démocratique, celui de ministre est en effet le plus paradoxal, car s’il incarne le pouvoir dans l’action, sa légitimité politique est en même temps parfaitement précaire. Il n’est pas élu à ce poste, et il peut en être éjecté du jour au lendemain sans explications.

Remarquons que cette précarité n’est partagée ni par les parlementaires, ni par les hauts fonctionnaires, ni bien entendu par le Président, ni même, dans un Etat de droit, par les hauts magistrats. Un ministre est donc à la fois roi dans son domaine, mais congédiable comme un valet.

Sa première fonction n’est en fait que d’être une pièce sur l’échiquier des alliances politiques suivant les élections. Certains ministres n’ont en réalité pas d’autre rôle. C’est sans doute le cas de Jean-Max Bellerive, ministre de la « planification et de la coopération externe », mais surtout représentant de Lavalas. Son rôle est d’être planté là, comme un épouvantail ou un porte-manteau, mais pas d’exercer un véritable rôle technique et administratif.

Pour d’autres ministres, ceux qui héritent de ministères utiles car dotés d‘un budget et d’une administration, le travail ne s’arrête pas le jour de la nomination, au contraire c’est là qu’il commence. Ceux-là peuvent être de bons ou de mauvais ministres. Mais les paradoxes de cette charge ne sont pas épuisés. Un grand président à forcément de grands ministres. Mais il n’en a pas trop. Un ou deux suffisent. Et ces grands ministres doivent savoir naviguer entre deux écueils : trop en faire ou pas assez.

En effet on ne réussit pas dans cette tâche si l’on n’est pas à la fois un grand patron - car un ministère se dirige comme une entreprise - et un bon visionnaire, car le bon ministre doit imposer sa vision et pour cela commencer par en avoir une. Et maîtriser parfaitement les dossiers dont il a la charge. C’est pour ces deux raisons que le grand président l’a choisi : pour qu’il gère bien une partie de la maison-Etat et qu’il s’empare des dossiers, mais aussi pour qu’il pense à sa place, fasse sa propre analyse et la mette en œuvre en surmontant les difficultés. Oui, mais voila : s’il remplit trop bien ces critères il va faire de l’ombre à son patron, danger au moins aussi mortel que l’incompétence. Notre ministre ne doit jamais oublier que la roche tarpéienne est très proche du Capitole.

En fin de compte, il n’y a donc pas de grands présidents, ni de grands ministres, il n’y a que de grandes équipes, celles qui savent, dans la durée, organiser cet équilibre fait de dizaines de déséquilibres entre le risque d’une équipe de valets nommés là pour d’uniques raisons électorales, et une collection de fortes têtes tirant à hue et à dia. Alors, de quel côté penche-t-elle la balance de ce premier gouvernement ? Sans doute pas du côté d’un trop grand nombre de personnalités susceptibles de faire de l’ombre au président.

Margaret Cartier
Paris, le 8 mars 2006


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