Wednesday, February 22, 2006

LA PREMIERE ERREUR DU FUTUR PRESIDENT

Si j’avais été conseillère de René Préval, ce qu’à Dieu ne plaise, -(Moi noire! Moi négresse! Moi Alice! Pour citer ma feue grand-mère)- voici ce que je lui aurais dit après les premiers résultats partiels : « Vous allez être élu au second tour. Deux jours à peine après votre prise de pouvoir, passées les vociférations de victoire de vos supporters, que vous n’estimez d’ailleurs pas plus que personne, votre souci principal sera votre négociation avec la communauté internationale pour obtenir que les promesses soient tenues. Ne mettez pas en péril celle-ci pour faire plaisir à ceux-là. Vous êtes convaincu que des tricheries ont minimisé votre score ? Ne vous en souciez pas. Au contraire, intervenez comme un beau joueur et célébrez la bonne tenue des élections. Elles vont de toute façon vous porter au pouvoir, vous ne risquez rien. Qui croirait qu’un candidat parvenu avec 48% des voix au premier tour pourrait perdre au second face à un rival à 12% ? Laissez faire, au contraire : les quelques semaines qui vous séparent du mois de mars sont une bénédiction. La « régularité » des élections, leur caractère exemplaire, seront plus tard votre meilleur appui face à ceux qui peuvent financer le succès de votre politique. »

Mais, n’étant pas conseillère de René Préval, je ne peux que constater qu’il a fait l’erreur politique monumentale de se comporter exactement à l’inverse de ce qu’il aurait du. Son premier réflexe a été de contester la régularité d’élections dont le monde entier avait pourtant célébré sans réserve le taux de participation, comme je le prévoyais depuis un an dans ces colonnes.


Cela s’appelle se tirer une balle dans le pied. A la tête de supporters dont on voit bien qu’il est en fait l’otage, comme son ami Aristide, il a laissé « la rue » vociférer qu’on lui « volait » son vote. Quelle erreur ! Quelle vaine et coûteuse – pour lui – démonstration de force ! Il sera élu, cela ne fait plus de doute. Mais il s’est déjà considérablement affaibli, pour plaire à quelques nervis, en mettant en péril lui-même la force d’un vote dont l’issue était désormais certaine. Tout cela pour gagner quelques semaines !

Ce manque de sang froid, ce manque de sens de l’Etat, vont coûter très vite très cher à Haïti. Et c’est pour cela qu’il faut quand même les regretter. Mais la vie politique démocratique de ce pays ne fait que commencer. Je ne veux pas croire que les autorités brésiliennes aient été assez imbéciles pour conseiller « d’accorder » à Préval son élection au premier tour pour favoriser le retour au calme de la rue.

Si c’était le cas, cela ruinerait aux yeux de tous l’intérêt même du processus électoral, qui consiste précisément à donner au pouvoir une autre légitimité que celle de la rue. Suivre le conseil brésilien ce serait reconnaître que la rue, c’est-à-dire les gangs, auraient définitivement gagné. Or Lavalas sait, depuis 2004, que c’est un jeu mortel. Et les Brésiliens aussi feraient bien de réfléchir à deux fois à la portée de leurs propos, dans leur propre intérêt.

Mais aujourd’hui les opposants à René Préval doivent commencer par reconnaître leur défaite, tout en la considérant comme provisoire. Tricheries ou pas tricheries, intimidations ou pas, la famille Lavalas a démontré qu’elle était toujours la principale force politique de ce pays. (Je n'ai pas assez de guillemets pour encadrer la douzaine de mots qui précèdent). Que Préval ait obtenu 55, 45 ou même 35% des voix, il serait arrivé largement en tête, cela ne change rien. Voila l’essentiel, même s’il n’a pas su le voir.


Ce résultat n’est pas une surprise, mais il ressort aujourd’hui clairement des urnes. Cependant, pour l’opposition, la défaite devrait être moins amère en considérant qu’elle fera face à un leader dont la culture politique le pousse à s’affaiblir avant même d’exercer le pouvoir. A elle de savoir exploiter la faiblesse de l’adversaire. Dans le respect des règles du jeu démocratique. Nouvelle panne de guillemets…..

God bless my beloved Haïti!

Margaret Cartier
Paris, le 16 Février 2006

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Paru dans Le Matin d'Haiti, édition du 17 Février 2006