Saturday, March 04, 2006

LA LOURDE TACHE DE L'OPPOSTION : S'UNIR

René Préval est donc à nouveau président de la république. Tout démocrate doit lui souhaiter le plus grand succès dans son mandat et le gouvernement du pays. Ne revenons pas sur l’erreur de sa part et de celle de ses partisans consistant à contester les premiers résultats du premier tour. De toute façon il aurait été élu. Or il faut être logique : on ne peut pas à la fois dire que cette contestation était une erreur, puisque que de toute façon il l’aurait emporté à la fin, et nier qu’il ait été élu démocratiquement, -pour autant qu'Haiti puisse l'offrir- au fond et pour ce qui compte. N’oublions pas le taux de participation remarquablement élevé à cette élection et affirmons-le à nouveau : même les opposants à Préval devraient préférer cette situation où leur adversaire est élu avec une forte participation à celle où leur candidat aurait été choisi, mais avec une énorme abstention. Bref, il fallait passer ce cap pour citer mon amie E. L’intérêt du pays était d’abord que les électeurs votent en masse.

D’abord, certes, mais pas seulement. Ce qui fait le caractère démocratique d’un pays, ce n’est paradoxalement pas l’action du gouvernement élu par la majorité, mais surtout ce que peut faire l’opposition représentant la, ou plutôt les, minorités. Au gouvernement la responsabilité de gérer. A l’opposition celle d’animer le débat et la vie démocratique. Mais de ce point de vue, les derniers mois peuvent nourrir une certaine inquiétude. Car le résultat de la semaine dernière est double : il y a eu victoire de René Préval, mais surtout défaite incontestable d’une opposition dont le premier candidat n’a pas réuni plus de 12% des voix. Et cette défaite n’est pas une simple conséquence arithmétique de la victoire d’un autre candidat, elle est un phénomène en soi qui mérite qu’on s’y arrête.

La division est une première évidence. La situation politique d’Haïti, surtout après le second tour des législatives, serait radicalement différente si le nouveau président avait eu en face de lui un adversaire réunissant par exemple 40% des voix. C’eut été encore une large victoire pour Préval, mais d’une nature très différente. On apprend aujourd’hui que le candidat à la candidature Siméus promet d’aider le gouvernement Préval. Les cartes s’abattent donc et on voit quelles étaient les vraies alliances. Mais on constate que le camp aujourd’hui majoritaire, après quelques gesticulations, a fini par être uni et éviter la multiplication des candidatures de division. Ce camp a eu raison, et a montré un sens politique –on peut se demander comment-qui a cruellement manqué en face. Et l’opposition devra en tirer les conséquences. L’union est une nécessité absolue, quitte à ce que cet impératif écrase au passage quelques susceptibilités, quelques ambitions de personnes, quelques sentiments de propriété égoïstes et désuets.

En second lieu, ces élections sont aussi un cinglant démenti de ce que la propagande aristidienne a fait croire, notamment aux Etats-Unis : non, il n’y a pas en Haïti un peuple uni à 90% derrière un leader des bidonvilles et des campagnes opprimées ! Ni d’un côté une bourgeoisie ultra-minoritaire et de l’autre un « petit peuple » incarné par un leader unique ! Les commentaires vont bon train dans le monde sur la nette victoire, dès le premier tour, de René Préval. Mais qui relève qu’il n’a, d’un autre côté, obtenu « que » 51% des voix ? Y a-t-il 49% de « bourgeois » en Haïti ? L’opposition a perdu cette élection, mais elle a peut-être aussi gagné un peuple. Elle devrait alors mieux réfléchir à sa base populaire : pour l’accroître d’une part, et pour mieux la connaître et en tirer parti d’autre part.

Mais il y a une condition à tout cela : l’union. Pour que demain, dans l’intérêt du pays, un président choisi par un haïtien sur deux ne se retrouve pas face à un vide politique et une assemblée aux ordres, l’opposition, les oppositions, doivent s’unir. C’est l’intérêt de tous, y compris d’ailleurs du président. Hélas, il est peu probable que ce qui n’a pas été fait pendant les deux ans de gouvernement transitoire le soit d’ici le 19 mars. Il est cependant encore temps.

Margaret Cartier
Paris, le 24 Février 2006

mag.cartier@gmail.com
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Paru dans le Matin d'Haiti, édition du Mardi 28 Février 2006