Wednesday, February 15, 2006

LA DEMOCRATIE MOINS L'ELECTRICITE

Cela n’explique pas tout, mais tout de même : plongez n’importe quelle ville du monde dans le noir, tous les soirs, depuis des années, et vous verrez ce qui se passera en matière d’insécurité. On connaît les problèmes de violence observés dans les grandes villes américaines lors des pannes de courants prolongées, et on sait ce qui s’est passé à la Nouvelle Orléans lors du passage du cyclone Katrina.

Je suis sûre que même une ville aussi civilisée que Genève, en Suisse, sans électricité la nuit, pendant des mois, verrait naître elle aussi des gangs et des violences endémiques. Je n’ignore pas que rôdent ici certaines traditions violentes, certaines pesanteurs que connaissent tous les bidonvilles du monde (voyez Lagos, voyez certaines parties de Mexico, voyez Rio), mais je ne crois pas à une fatalité haïtienne qui condamnerait le pays à la violence systématique. Donnez-nous le courant et on verra, ai-je envie de dire à la communauté internationale. Commencez par ça, ce n’est pas le plus difficile !

Qu’on me permette quelques chiffres. Je lis sur Caribbean Net News, sous la plume de Vario Sérant, que les besoins en électricité de la population haïtienne seraient de l’ordre de 80 à 150 mégawatts, pour une capacité de production – théorique – de 40 mégawatts. A titre de comparaison, la France, dispose rien qu’en éoliennes, ces grandes hélices qui produisent du courant à l’aide du vent, d’une capacité de 631 mégawatts.

Or elle est un des pays les moins avancés en cette matière car elle a tout misé sur le nucléaire, et les éoliennes ne représentent qu’un millième de ses ressources électriques. L’Europe dans son ensemble dispose d’une capacité de 28000 mégawatts. Les éoliennes ne consomment pas de carburant. Aurait-il été impensable de mettre en œuvre en deux ans un programme d’investissement dans ce domaine ? Cela aurait-il été plus coûteux que de maintenir une force armée de plusieurs milliers d’hommes pendant des années ? Chaque haïtien dispose de 2500 fois moins de courant qu’un Français. Deux mille cinq cent fois !

En Irak, l’administration américaine est accusée de ne pas avoir tenu ses promesses de reconstruction du pays, notamment dans le domaine de l’électricité. Mais elle a quand même construit ou reconstruit une capacité de 4000 mégawatts, sur les 6000 qu’elle avait promis. Haïti n’aurait besoin que de 3% de ce qui a été accompli en Irak. Pourquoi ne les obtient-elle pas ? La communauté internationale n’est peut-être pas au courant du fait qu’Haïti manque de courant.

Parfois, les questions compliquées – comment établir la démocratie dans ce pays en est une– masquent des questions simples qui en sont pourtant la clé, et c’est le cas de la production d’électricité. Lénine avait eu une formule fameuse en son temps : " le communisme c’est les soviets plus l’électricité ". Les Russes ont fini par préférer " l’électricité plus la démocratie ", et on considère aujourd’hui le communisme comme une forme de barbarie. Mais Haïti pourrait compléter l’équation : la démocratie moins l’électricité, c’est aussi la barbarie.

Enfn il me semble. Anfen, se sa m ta di.

Margaret Cartier
Paris, le 19 janvier 2006

mag.cartier@gmail.com
castillecastillac@gmail.com

Tuesday, February 14, 2006

LE TAUX DE PARTICIPATION EST LE VERITABLE VAINQUEUR DES ELECTIONS

Je l’ai écrit à de multiples reprises depuis un an, et je ne vais pas changer d’avis maintenant : le plus important dans les élections qui ont eu lieu le 7 février était le taux de participation. C’est gagné. Haïti a montré le visage d’un pays qui veut voter, et c’est bien là l’essentiel. Malgré les immenses difficultés pour établir les listes électorales, mettre en place les bureaux de vote, distribuer les cartes d’électeurs, assurer une sécurité convenable au moins lors du scrutin, permettre une campagne électorale à peu près digne de ce nom, pour ouvrir les bureaux de vote à l’heure, malgré un certain nombre d’échecs graves dans ce domaine, les Haïtiens ont voté en nombre.

Ils ont surtout manifesté collectivement, pour la première fois dans un cadre contrôlé sinon tout à fait démocratique, une volonté de participation, et c’est ce que retiendra la communauté internationale. Tout commence maintenant, mais le point de départ est atteint, et cela change tout. Avant d’envisager le futur, il est important, dans ce pays que le sort a accablé mais qui aussi se complait parfois à porter trop haut ses tares masquées en spécificités, de prendre le temps de se réjouir d’un acquis, d’un examen réussi.

Bien sûr maintenant on va lire que c’était la moindre des choses, que Haïti ne fait finalement aujourd’hui que ce que la grande majorité des autres peuples savent faire depuis longtemps, et on va contempler la moitié vide de la bouteille à moitié pleine. Moi je voudrais m’arrêter un instant sur la partie pleine. Ce pays avait déjà voté par le passé. Il ne s’agit donc pas à proprement parler d’une « première » historique.

Mais, précisément, les piètres résultats des précédents scrutins auraient pu donner à la mémoire collective un dangereux mais compréhensible dégoût du vote. Or, il n’y avait pas d’autre issue aujourd’hui que de porter au pouvoir une équipe jugée légitime par cette communauté internationale dont le concours, qu’on le veuille ou non, restera indispensable pendant de nombreuses années encore. Malgré les difficultés, les réserves historiques et les ressentiments, les électeurs haïtiens, collectivement, l’ont compris. Et il y a de quoi en être fier.

Maintenant tout reste à faire. Un pouvoir doté d’une nouvelle et forte légitimité va devoir apprendre à ne pas en abuser. Et à en user avec fermeté là où c’est nécessaire. Sur une opposition déçue va reposer la responsabilité d’établir les fondations d’une véritable culture démocratique dans ce pays. Elle devra à la fois se faire respecter du pouvoir sans se compromettre avec lui, et montrer l’exemple du sens de l’intérêt général. La communauté internationale va devoir tenir ses promesses rapidement, et le nouveau gouvernement devra être intransigeant sur ce point et savoir se faire entendre dans l’opinion mondiale si les promesses ne sont pas tenues.

L’ONU, l’Europe et l’Amérique ont posé comme condition au déploiement effectif d’une aide stratégique, je veux dire pas un saupoudrage d’ONG douteuses, le fait que ce pays se dote d’un gouvernement démocratiquement élu. Cette condition étant remplie, dans la douleur et les imperfections, les projecteurs doivent être braqués désormais ailleurs qu’à Port-Au-Prince.

En attendant, que les partisans de l’heureux élu fêtent leur victoire, que les perdants soient beaux joueurs, et que ceux qui comme moi ne se réjouissent pas de ce résultat voient plus loin que le présent : l’opposition d’aujourd’hui sera le pouvoir de demain.

Margaret Cartier
Paris, le 9 février 2006

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