Wednesday, May 17, 2006

DU BON USAGE DU SCEPTICISME

Les propos de René Préval tenus dans une réunion « informelle » avec la presse mardi dernier sont-ils trop beaux pour être vrais ? Le futur président a en effet déclaré que la liberté de la presse serait assurée, que la priorité de sa présidence serait la concertation et le dialogue, que des efforts dans ce sens étaient en cours avec toutes les formes de représentations de la population haïtienne, que les priorités étaient l’électricité, la sécurité et l’inflation, etc. J’ai très envie d’applaudir. Mais avant de le faire, la prudence m’impose de formuler quelques hypothèses.

La première est en forme de regret. Après tout, René Préval a déjà été au pouvoir. Pourquoi ces belles paroles, ces analyses sensées, ce programme respectable, pourquoi tout cela n’a-t-il pas été mis en œuvre lors de son précédent passage au gouvernement ? Quel est le vrai René Préval, celui qui hier n’a pas pu – ou pas voulu ? – empêcher les dérives du pouvoir aristidien, ou bien celui d’aujourd’hui ? L’histoire nous enseigne que les deux sont probablement également véritables. Les hommes, au pluriel, font les circonstances, mais les circonstances font l’homme, au singulier.

Aujourd’hui n’est pas comme hier, et il n’est pas plus raisonnable de ne faire confiance qu’à des hommes entiers, mais qui ne savent pas s’adapter, que de prendre pour argent comptant ce que nous disent les puissants au moment où ils nous le disent. La vertu, en politique, est beaucoup une question de résultats. Elle n’est pas que là, et la méthode importe aussi, mais elle est avant tout là. Or, Préval, par ce changement, me semble peut-être mériter plus de respect pour son pragmatisme que de méfiance pour son passé.

La seconde hypothèse porte sur le rôle des Américains. Tapis dans l’ombre, à mon sens pour la bonne cause, je le dis nettement, il n’est pas impossible qu’ils inspirent, au moins en partie, ce que le futur président peut ou ne peut pas dire. Je serais inquiète du contraire d’ailleurs, et je ne crois pas une seconde que la « communauté internationale » croie que les élections passées, le pays peut se débrouiller tout seul. Je ne sais pas quelle est la part des « contraintes internationales » (comprendre : les exigences des Américains) dans les propos de René Préval, et j’aimerais croire que cette part est faible. Car si elle est grande, quelle sera la pérennité de ces bonnes intentions quand l’oncle Sam aura le dos tourné ?

Je veux rappeler enfin que l’opposition ne doit pas être endormie par les promesses de concertation. Discuter, c’est très bien. Ne pas faire d’obstruction nuisible à la Nation, c’est un devoir (les Haitiens ont perdu ces 16 dernières années et l'idée de devoir autant de Nation). Mais partager les responsabilités, c’est un marché de dupe. Le nouveau pouvoir aura besoin d’une critique, d’une alternative, (qui ne saurait se cantonner à des pneus brandis ou autres mises à sac) autant pour être efficace que pour être crédible.

Cela étant dit, ces réserves faites, il ne faut pas non plus se tromper dans l’analyse de l’attitude de Préval depuis trois mois. En gros, c’est un sans faute, du moins vu de l’étranger. Ses déclarations sont intelligentes, son attitude est crédible, et - de très loin - beaucoup plus que celles d’aucun gouvernement haïtien précédent, -j'entends les deux derniers. La bonne attitude consiste à rester vigilant mais à souhaiter et à tout faire pour que cela continue dans cette direction.

J'ai très envie d'applaudir. Mais je ménagerai ma peine s'il devait s'agir que de n'importe quoi érigé en "spécificité haïtienne".

Margaret Cartier

Paris, le 11 mai 2006

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