Tuesday, January 03, 2006

LES HOMMES ET LES FEMMES DE CONSCIENCE

Quand Haïti, un jour, se relèvera, ce ne sera pas grâce à ses institutions. Elles montent chaque jour, dans leur interminable agonie, que l’impuissance n’est pas mortelle, que le ridicule est sans cesse perfectible. Justice en grève : il y a sans doute de nombreux juges honnêtes, compétents, dévoués et courageux, et la justice en tant qu’institution est un des trois piliers de la société, elle requiert et mérite un respect opiniâtre.

La grève des juges n’a donc pas que des conséquences pratiques, elle est aussi le symptôme terrible de la déshérence d’un Etat de droit en lambeaux. On est alors tenté de porter le regard vers ceux qui ont provoqué cette grève, dans un geste sans nul doute attentatoire à la dignité de l’institution. Mais le coup a été porté par un magistrat, et l’on murmure qu’il s’agissait de réprimer la corruption de certains juges.

La justice doit-elle, drapée dans les habits du respect que chacun lui doit, être elle-même au-delà des sanctions ? Mais pour le citoyen, que des juges aient effectivement été corrompus, ou qu’au contraire les institutions permettent de les révoquer alors qu’ils sont innocents, le résultat est hélas semblable : la Justice, avec une majuscule, n’est pas rendue.

Si Haïti peut se relever ce ne sera pas non plus en comptant uniquement sur la communauté internationale. Mon pays aurait peut-être besoin d’une véritable et longue tutelle internationale. Le temps de construire en profondeur les bases de la démocratie. Une tutelle qui s’assumerait comme telle et ne chercherait pas trop vite à s’abriter derrière une légalité haïtienne dont on voit bien la fragilité, pour ne pas dire l’impossibilité. Que l’on forme des juges comme on devrait former des policiers.

Mais ce type d’intervention ne correspond pas, ou plus, aux doctrines en vigueur en matière de relations internationales. Et je ne sais pas si cette tutelle serait réellement efficace, et donc légitimée par les résultats. En attendant, nous sommes dans une situation où le pays n’est ni vraiment indépendant, ni vraiment soutenu par un tuteur. La résolution du problème ne viendra donc pas de l’extérieur. Exit!

Reste la seule solution, qui prendra sans doute du temps, son temps, mais qui un jour ou l’autre triomphera. Celle qui supposerait que les hommes et les femmes de conscience, ici, s’organisent, dialoguent, se constituent en groupes porteurs d’un intérêt général. Syndicats de paysans, cercles de discussion, partis politiques, églises, peu importe. Ces hommes et ces femmes de conscience signeront entre eux un pacte, celui qui veut que les armes, un jour, doivent être déposées ; qu’il vaut mieux avoir une petite part dans une entreprise prospère qu’une grosse dans une société en faillite.

Ces hommes et ces femmes existent, ils sont des milliers, c’est le prêtre qui aide celui qui ne partage pas sa religion, c’est la paysanne qui voudrait développer d’autres cultures plus efficaces, c’est le professeur qui donne des cours sans être payé, c’est même ce voleur qui un jour arrête le bras de ses complices pour renoncer à son butin.

Mais ces milliers, ces millions d’initiatives individuelles, tant qu’elles ne se parlent pas, tant qu’elles sont comme un orchestre qui ne jouerait pas ensemble, ne donnent rien, ne forment aucun accord. Pour qu’elles se parlent, elles doivent s’organiser. C’est long, c’est austère, ce n’est pas glorieux, il y faut encore plus d’humilité que de conviction. Mais le chemin, est là : l’organisation des hommes et des femmes de conscience. I have a dream….

A tous HEUREUSE, HEUREUSE ANNEE sous le regard de Dieu.


Margaret Cartier
Paris, le 30 décembre 2005


Paru dans le Matin d'Haiti, édition du week-end du 30 décembre 2005